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Le casse-tête du recrutement dans l’hydraulique

Alors que la réindustrialisation de la France semble devenue une priorité et que les carnets de commandes sont pleins, les entreprises de transmission de puissance, en particulier hydraulique, souffrent d’une pénurie de candidats pour les postes d’opérateurs et de techniciens. Industriels et formateurs en témoignent.

À en croire le discours politique, la France est en voie de réindustrialisation. Le domaine de la transmission de puissance, en particulier hydraulique, est cependant confronté à un problème majeur qui entrave ce redéveloppement : une pénurie d’ouvriers problématique alors que l’activité est intense. Certes, le manque est généralisé à l’industrie. Mais l’hydraulique cumule les difficultés avec un manque d’attractivité. Selon Laurence Chérillat, déléguée générale d’Artema, l’existence de ces difficultés ne fait aucun doute: « En 2019, sur les métiers d’opérateurs et de techniciens qui représentent respectivement 55 % et 25 % du personnel, la difficulté de recrutement était estimée à 8/10 par les chefs d’entreprise. Et le niveau était encore plus élevé dans l’hydraulique où l’on atteignait 10/10. » 

Manque d’attractivité et de formations  
Une situation confirmée par Emmanuel Germain, PDG d’Hydraumatec, PMI basée à Ploërmel (Morbihan), spécialisée dans l’étude et la fabrication de blocs forés hydrauliques: « Je connais des problèmes de recrutement depuis que j’ai repris l’entreprise en 2007, surtout sur les opérateurs de commande numérique. Actuellement, en investissant dans un nouveau centre d’usinage, je pourrais recruter une équipe de 5 à 6 nouveaux salariés. » Selon le dirigeant, le problème vient du manque d’attractivité des métiers de la transmission de puissance : « Pendant des années, on n’a pas poussé les jeunes à aller vers ces filières. » 
Hydrokit a pour sa part recruté 17 personnes très récemment avec peu de turn over : « le recrutement est un enjeu de taille, quel que soit le profil : magasinier, monteur hydraulique, ingénieur bureau d’études, commercial... » indique Maxime Deys, responsable marketing.
Pour les monteurs hydrauliciens, Hydrokit a recruté des alternants et prend la peine de les former. Patrice Legendre, directeur général d’In Situ, confirme : « il est possible pour de jeunes recrues sans compétences dans l’hydraulique d’acquérir un niveau. La formation à distance est le bon outil pour progresser. Mais les choses ne sont pas toujours simples. Les problèmes de recrutement existent, mais les patrons doivent pouvoir se remettre en cause pour rendre leur entreprise attractive, notamment sur le plan de la sécurité ou du bien-être au travail pour fidéliser les équipes. »

Zéro turn over
Gwendal Conan, président du réseau d’hydrauliciens Tholéo et patron de deux PME (MG Fluides et Hydraumel), abonde en ce sens : « les recruteurs doivent rendre attractive l’entreprise, former les salariés et les fidéliser. J’ai pris conscience de cela à la suite d’un audit réalisé par le cabinet de consulting Panorama. Depuis, j’ai beaucoup moins de mal à recruter. »
Son approche originale y fait : « la ressource existe. Mais il faut en finir avec le management vertical, et lui préférer le management libéré, qui passe par des objectifs, des incitations. Plutôt carotte que bâton. » Résultat : Hydrau M.e.l a accru son CA de 35 % en 2021, MG Fluides de 15 %, les bénéfices ont été multipliés par deux et aucun turn over à déplorer ces quatre dernières années. 
Michel Zajac, professeur au lycée polyvalent de Beaupré (Haubourdin, Hauts-de-France), estime que le vrai problème est celui du très petit nombre de cursus dédiés à la transmission de puissance, en particulier hydraulique : « La part de cette technologie dans les formations bac pro et BTS maintenance est insuffisante pour acquérir les compétences souhaitées par les entreprises. Notre lycée forme des étudiants à la licence professionnelle maintenance & technologie : systèmes pluri-techniques, parcours hydraulique industrielle. Le diplôme est préparé en un an, après un BTS ou un DUT. Seuls deux ou trois établissements en France proposent une formation similaire. Depuis le début des années 2000, l’Education nationale a mis en place une mention complémentaire MIOP (Maintenance des Installations Oléo-hydrauliques et Pneumatiques). C’est un diplôme à part entière sur un an, après un Bac pro ou un BTS. Il n’existe qu’une douzaine d’établissements en France le proposant. » 

Création de deux CQPM
Selon lui, la Mention complémentaire MIOP a du mal à séduire les jeunes : « Il y a moins de problèmes dans la transmission de puissance pneumatique, qui leur fait moins peur que l’hydraulique. C’est plus simple à maîtriser. De plus, la mention complémentaire souffre d’un manque d’attractivité, car elle est de niveau 4. Or, quand les jeunes sortent du Bac pro, le ministère les incite plutôt à se diriger vers un BTS, de niveau 3. Pourtant, la demande des entreprises est là. L’ensemble de notre groupe d’apprentis a obtenu l’an dernier un contrat de travail immédiatement à l’issue de la formation. » Laurence Chérillat reconnaît que l’offre en formations est insuffisante dans l’hydraulique : « Elle est peu ou pas enseignée dans les bacs pro maintenance ou autres et même dans les BTS ou DUT technique, ce qui est un peu différent pour les transmissions de puissance pneumatique et mécanique. La profession fait pourtant beaucoup d’efforts : création de CQPM (certificat de qualification paritaire de la métallurgie) spécialisée dans l’hydraulique, mention complémentaire hydraulique ou licence maintenance avec une spécialité hydraulique. Avec l’UIMM Picardie, nous venons de réviser 2 CQPM dont celui de technicien de maintenance des systèmes oléo-hydrauliques. Mais il est dommage qu’il n’y ait pas de BTS ou DUT avec une spécialité dans la transmission hydraulique. » 

Évolution permanente
Peu de jeunes étant formés à la transmission de puissance, il semblerait logique de se tourner vers des personnes souhaitant se reconvertir. Mais là encore, les choses ne sont pas si simples. Nicolas Wanko, responsable formation chez Tritech, entreprise qui forme des salariés aux métiers de la transmission hydraulique et électrique, se montre réservé sur cette solution : « Il nous arrive très peu de gens venant d’autres secteurs. Il faut quand même des connaissances techniques de base en mécanique et en électricité. » Michel Zajac se montre modérément enthousiaste concernant l’hydraulique : « C’est un domaine très pointu. Le pont est peut-être possible avec des personnes issues de l’industrie, des travaux publics ou du secteur agricole. Et la reconversion est peut-être plus facile pour la mécatronique, la transmission pneumatique ou mécanique. » 
Heureusement, des motifs d’espoirs existent. « Le problème de la transmission hydraulique est qu’il s’agit d’un métier mal connu. Mais quand les jeunes ont terminé la formation, ils disent souvent qu’ils adorent et qu’ils souhaitent poursuivre dans ce domaine. Ce sont des métiers où il y a beaucoup à apprendre, les technologies évoluent en permanence » se réjouit Michel Zajac. Selon le formateur, il faut absolument mieux faire connaître cette technologie : « L’intervention et le témoignage des professionnels dans les établissements scolaires sont primordiaux. Les portes ouvertes des centres de formation et des entreprises aux scolaires sont également de très bons moyens. » 
Dans le bon sens
Pour aller plus loin, Laurence Chérillat propose : « Les entreprises doivent prendre des stagiaires dès la troisième/seconde, puis des apprentis en considérant cette approche comme un pré-recrutement. Il est vrai qu’il faut un maître d’apprentissage, ce qui n’est pas toujours facile pour les PME mais il existe des aides, notamment via les régions. » 
Autre bonne nouvelle : le secteur de la transmission de puissance offre des niveaux de rémunération correcte selon la déléguée générale d’Artema : « On est plutôt dans la fourchette haute. On est plus payé en tant que rectifieur que dans une entreprise de service voire d’informatique. Mais ce n’est pas forcément cela qui fera venir les jeunes. Ce sont davantage les entreprises dans lesquelles ils vont se sentir bien, avec des projets intéressants. » 
Michel Zajac considère que les choses évoluent dans le bon sens : « Les salaires tournent autour de 2000-2200 euros bruts, ce qui n’est pas très élevé. Mais les jeunes peuvent un peu négocier quand ils sont reconnus. » Laurence Chérillat encourage enfin toutes les entreprises à croire à la reconversion : « Il vaut mieux recruter une personne ayant des bases solides en mécanique, même si elle ne connaît pas l’hydraulique, puis la former. Il ne faut pas chercher le mouton à 5 pattes. » Dernière source de recrutement à laquelle les chefs d’entreprises ne pensent pas toujours, selon Emmanuel Germain : les femmes. « Il y en a très peu alors qu’il n’y a aucune impossibilité physique à exercer ces métiers » soutient l’industriel.

Hugues Boulet, Karim Boudehane

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